Thierry C.

http://lesangnoir.wordpress.com/

«Acheter des livres serait une bonne chose si l’on pouvait simultanément acheter le temps de les lire.» Schopenhauer
Et à quoi sert la littérature?
Peut-être à essayer de vivre selon les nuances car la littérature est «maîtresse des nuances» disait Barthes.
La littérature «s'embarrasse» de nuances. Ne se sépare de personne.
Elle s’intéresse aux différences, aux subtiles différences, aux sensibles singularités.
Elle veut comprendre. Raconter. Regarder. Éclairer l’existence.
Teinter la vie. Sucrer, saler la vie.
La littérature aide à respirer. Reprendre souffle. A souffler, un peu. Sûrement!

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11 novembre 2012

«Qu’auriez-vous fait si, en rentrant un peu trop tôt chez vous le jour de votre cinquième anniversaire de mariage, vous aviez découvert une voiture que vous ne connaissiez pas dans l’allée ?»

Simon Smidesang va sortir de sa vie...à reculons.

Ce deuxième roman de Levi Henriksen commence fort !

Simon, bientôt la quarantaine, est journaliste à Oslo.
Il décide donc de tout plaquer.
Se mettre en quarantaine.
La crise de la quarantaine.
Le démon de midi comme on dit.

Il a déjà tout vu : les taureaux de Pampelune, la maison de Strindberg à Stockholm, le Dublin de James Joyce.
Il va «s’exiler» à Skogli dans la maison de ses grands-parents.
En rase campagne norvégienne.
Il devient le facteur du village.
Il sera l’aide à domicile...aussi.

Et c’est parti pour une tournée de souvenirs et de rencontres insolites.
Des souvenirs très très agités.
Des rencontres très très insolites.
Une nouvelle vie, un tournant.
Un vie simple. Une vie devant soi.
Mais c’est plus compliqué que ça la vie.

Simon va tenter de se reconstruire malgré le mal de vivre.

C’est un roman plein de nostalgie et d’humour.
Désenchanté et dépaysant.
Léger et grave.
C’est un beau roman, une belle histoire, il rentrait chez lui, là-haut dans le brouillard...
L’histoire d’un homme en proie aux longs ennuis où l'Espérance, comme une chauve-souris, s'en va battant les murs de son aile timide
et se cognant la tête à des plafonds pourris...
Un spleen quoi.

Levi Henriksen, la cinquantaine, est parolier, musicien rock (aux lunettes noires comme son premier roman) et journaliste.
Son premier roman, un polar glacial, «De sang sur la neige» (Presses de la Cité, 2010) a obtenu le Prix des Libraires en Norvège.

«Il éprouva un petit pincement au coeur : il aurait bientôt quarante ans et n’avait rien dont il pût être fier.»

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10 novembre 2012

Un superbe livre recommandé à tous les amoureux de la littérature, petits et grands !

De la «Farce de Maître Pathelin» à Le Clézio.
Rabelais, Montaigne, La Fontaine, Molière, Voltaire, Diderot, Stendhal, Balzac, Dumas, Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire, Sartre, Camus...par exemple.

Ne vous inquiétez pas. Soyez rassurés.
Tous les «grands» sont là. Pas d’oublis majeurs.
Quatre pages par auteur enrichies de photos, reproductions, anecdotes et extraits.
C’est, comme on dit, un beau livre, très agréable à consulter.

Avec lexique et repères chronologiques.

Ce Petit Larousse des Grands Ecrivains Français a tout d’une grande encyclopédie trop bavarde.

Une belle réussite, vraiment.
L’essentiel à portée de mains.

Il a tout d’un beau cadeau à offrir !

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9 novembre 2012

«Elle se comparait à un sou lancé en l’air, retombant pile ou face, selon les hasards du pavé.»

Gervaise Macquart va (très mal) (re)tomber sur le pavé parisien luisant-glissant de la révolution industrielle qui brille comme un soleil...noir de suie !
Du mauvais côté.
Sous les pavés...la misère.

Conçue dans l’ivresse (l’ivrognerie plutôt), chétive et boîteuse.
Battue par son père et soignée à l’anisette par sa mère.
Blanchisseuse à douze ans et enceinte à quatorze ans.

Ah, c’est gai !

L’Assommoir. 1850 à Paris. C’est le nom du bistrot où sévit l’assommoir, une machine à fabriquer de l’eau-de-vie.
Bonjour les dégâts !

Gervaise arrive à Paris avec son amant Lantier, chapelier infidèle et leurs deux enfants.
Lantier l’abandonne.
Elle épouse Coupeau, ouvrier zingueur.
Une nouvelle vie.
Au début tout va à peu près bien. Elle devient patronne d’une blanchisserie. Le couple a une fille, Anna, qui deviendra la très célèbre «Nana» de Zola.
Ils organisent même une fête mémorable qui réunit tout le quartier.
Trop beau pour Zola.

Coupeau tombe d’un toit. Accident du travail.
Ben ouais, ça existe...encore !
Il va se réfugier à l’Assommoir et se mettre à boire (ça rime).

Le forgeron Gouget lui propose bien de s’enfuir (une note d’espoir dans ce monde noir, ça rime encore) avec lui mais elle refuse.
Trop beau pour Zola.

Lantier revient dans la chaumière et avec Coupeau c’est l’entente cordiale. Ben voyons, c’est la solidarité masculine.

S’ensuivent, dettes, clé sous la porte de la blanchisserie et séjours prolongés à l’Assommoir pour tout le monde : Gervaise, Coupeau et compagnie...
Tournée générale pour le petit peuple !

Coupeau, devenu alcoolique, meurt de folie.
Gervaise meurt dans un trou sous l’escalier.

Ah, c’est gai !

«L’Assommoir» est un roman-ouvrier naturaliste.
Gervaise sera la femme du peuple, le symbole de toutes les femmes du nouveau prolétariat.
Il paraît en 1876 en feuilleton, c’était la mode à l’époque.
Puis en 1877, en vrai livre.
On reproche à Zola d’avoir écrit un livre noir, trop noir.
Noir comme le charbon des mines.
Vrai livre qui se vend à 400 000 exemplaires.
Un vrai succés !

Zola, ici, dit stop au romantisme, ça suffit l’idéal romantique «béat-bobo».
Il veut reproduire la réalité, le plus objectivement possible.
A la scientifique.
Une méthode : se documenter, enquêter, comme un reporter.
«L’Assommoir», reportage en direct de la Goutte d’Or.

«L’Assommoir», un classique à lire absolument, cela va de soi.
Encore chaud-brûlant d’actualité.
Sous les pavés...la crise !
Et, cher lecteur, ça fait du bien un p’tit classique de chez classique, de temps en temps, ça revigore, ça remet quelques écrivaillons à leurs strapontins de gagnants de prix littéraires (en attendant le Panthéon !).
Cher lecteur, n’ayez pas peur des classiques, ils sont mordants mais ne mordent pas !
Ils gardent encore toutes leurs dents !

«La mort devait la prendre petit à petit, morceau par morceau, en
la traînant ainsi jusqu'au bout dans la sacrée existence qu'elle s'était
faite. Même on ne sut jamais au juste de quoi elle était morte. On
parla d'un froid et chaud. Mais la vérité était qu'elle s'en allait de
misère, des ordures et des fatigues de sa vie gâtée. Elle creva
d'avachissement, selon le mot des Lorilleux. Un matin, comme ça
sentait mauvais dans le corridor, on se rappela qu'on ne l'avait pas
vue depuis deux jours; et on la découvrit déjà verte, dans sa niche.»

Whitmer, Benjamin

Éditions Gallmeister

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6 novembre 2012

Glauque, très Glock !

«Officiellement, Sarah est morte d’une overdose.
Je cherche quelqu’un qui pourrait m’en convaincre.»

Sarah, sa fille qu’il connaissait à peine...

Pike, ancien truand, s’est rangé des voitures comme on dit dans le milieu.

Il (sur)vit maintenant de petits boulots.
Presque tranquille. Sans trop d’amis. Juste ce qu’il faut.
Juste avec ses livres.
«Il passe son temps à lire des livres bizarres. Ou à insulter ceux qui les ont pas lus."
Y’a bien son pote Rory le jeune boxeur des rings minables qui rêve de gloire.

Pike «hérite» de Wendy, sa petite fille, une gamine de douze ans qui n’a pas froid aux yeux et qui lit Edgar Allan Poe.
Wendy, enfant écorchée vive et son inséparable chat Monster toujours fourré sous son sweat.

Nous sommes à Cincinnati pendant les années Reagan.

Les femmes des classes moyennes supérieures s’achètent des salons à crédit pour se prouver qu’elles appartiennent aux classes moyennes supérieures.
«On s’achète une petite maison dans ce trou à rats et on se fait grossir à la bière jusqu’à ce que le coeur lâche définitivement.»

Cincinnati. Une vieille ville. Fondée par d’anciens esclaves, des Blancs pauvres et des Indiens.
Aujourd’hui habitée de bouseux rongés par l’alcool aux casquettes des Bengals ou des Reds.
Ici, le soleil est gris et le monde a basculé.

Pike sent bien que le déjanté Krieger, le policier tueur de «nègres», le vétéran du Vietnam, rôde un peu trop près de Wendy.

«Une fois sobre, faut toujours faire ce qu’on a dit qu’on ferait quand on était bourré.» Hemingway...soi-disant.

Waouh, comme ce roman est noir !
Noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir !
Du brut chez les brutes !
Faut avoir le coeur bien accroché je vous préviens !
L’écriture de Whitmer est froide comme une lame de rasoir et nous laisse un goût de sang dans la bouche.
Tout droit dans les ruelles «coupe-gorge», les squats de drogués, les immeubles en ruine, les relais routiers bien crasseux, les bordels bien poisseux et j’en passe et des bien pires...on en sort désespéré !

Trop c’est trop ? A vous de lire (dire) cher lecteur.
C’est sinistre et pourtant ça se dévore en une bouchée.
C’est le talent caché de ce jeune écrivain...à suivre de près.

Benjamin Whitmer est né en 1972 et a grandi dans le sud de l’Ohio et au nord de l’État de New York. Il a publié des articles et des récits dans divers magazines et anthologies avant que ne soit publié son premier roman, Pike, en 2010. Il vit aujourd’hui avec sa femme et ses deux enfants dans le Colorado, où il passe la plus grande partie de son temps libre en quête d’histoires locales, à hanter les librairies, les bureaux de tabac et les stands de tir des mauvais quartiers de Denver.

«Le noir semble être le dernier endroit où l’on peut écrire sérieusement sur les sujets importants. Classes, races, marginalité, liberté, prisons et punitions, violence, l’enfer de l’histoire, les bons sujets.» nous dit l’auteur.

«Tenant sa cigarette dans sa petite griffe de main, elle l’éteint en se l’enfonçant dans l’avant-bras, juste pour avoir pensé à ça. sa peau frémit et brûle. Dehors, rien ne change. Dedans non plus.»

Bon, ben mainteant je vais vite aller prendre l’air de la campagne et en rentrant je vais me faire une dose de poésie bien mièvre, genre Alfred de Musset tiens.

OUF !

Héloïse d'Ormesson

22,00
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5 novembre 2012

«Les anthropologues promenaient leur regard entre la jambe sectionnée et l’écran de l’appareil, s’efforçant d’interpréter les différentes gradiations de gris qui représentaient les os et les tissus.»

Jayne et Steelie sont anthropologues-légistes...tout comme l’auteure, Cléa Koff.
Jayne et Steelie ont travaillé au Rwanda et au Kosovo : identifier des cadavres mutilés...tout comme l’auteure, Cléa Koff.

Mais revenons à Los Angeles.
De retour dans un monde (plus ou moins ?) civilisé, elles vont créer une agence, très spéciale, aux Etats-Unis : retrouver des personnes disparues...tout comme l’auteure, Cléa Koff.
Tiens, tiens...


Elles vont se confronter à une mission, très, très spéciale : identifier des morceaux de corps démembrés tombés d’une camionnette accidentée.
Là s’arrête toute ressemblance avec l’auteure, du moins, je l’espère pour elle !

Aidées de l'agent spécial Scott Houston, elles vont enquêter sur ces morts sans tête semés comme des cailloux, comme à la manière du Petit Poucet ou plutôt du très, très méchant Ogre.
Un tueur en série qui sévit dans toute l’Amérique...
Hum, hum, une mission très, très risquée.

Faire parler les morts, la mort au trousse...un boulot pas vraiment comme les autres.
Exhumer des cadavres et (sur)vivre «aux efforts que faisaient les assassins pour effacer l'identité des défunts. A la façon dont cela empêchait les survivants de faire le deuil, d'accomplir des rites apaisants, que ce soit la toilette du défunt, une cérémonie suivie d'une crémation ou d'un enterrement, ou le rituel thérapeutique qui consistait à aller se recueillir sur la tombe de leurs proches le restant de leur vie.
L'absence de ces rituels torturait les survivants - des personnes qui n'avaient peut-être jamais été en contact avec leurs bourreaux.»

Nos deux héroïnes souffrent autant qu’elles troussent le criminel.
Ce n’est pas un métier de tout repos. Il laisse des traces.

Face à l’épouvantable, l’inconcevable cruauté humaine, comment vont s’en sortir nos deux expertes en jupons ?
L’amour peut-il les sauver ?
Peut-on effacer des cicatrices indélébiles ?

Le lecteur risque de suer, à grosses gouttes, les yeux rivés sur des clavicules tordues, des fémurs broyés ou des litres et des litres de sang.
Des personnages, bien saisis, attachants que le lecteur, apeuré, va suivre et poursuivre tout au long des pages.
Une hallucinante plongée dans un terrifiant milieu inconnu.
La traduction est impeccable.
L’écriture de Koff, taillé au scalpel, coule de source...judiciaire.

Cléa Koff, née en 1972 en Angleterre, nous livre là un thriller insolite. C’est son deuxième roman publié en France après «La mémoire des os» situé en Croatie, en Bosnie et au Rwanda.

Une jeune auteure à découvrir, donc.

Et puis, toujours, en main, la belle édition d’un livre signé des «Editions Héloïse d’Ormesson», la petite maison qui a tout d’une grande.
Maquette soignée et agréable à lire.
Un bel objet-livre...en voie de disparition...?

«Elle continua à marcher en fixant la Suburban noir garée au bout de la rue. Et tout à coup, une main lui agrippa le bras en la tirant à l’écart.»

Allez, cher lecteur, restez vigilant et bon courage...

PS : Un anthropologue légiste doit déterminer si les os ou les parties du corps sont humains ou non, depuis combien de temps ils se trouvent à l'endroit où ils ont été découverts, le nombre de corps présents, les circonstances et la cause du décès ainsi que l'âge, la race, le sexe et les caractéristiques physiques de l'individu.

Voilà, ça c’était le passage obligé et désobligeant «culture personnelle», ç’est «bo» la culture non ?