Piotr H.

Conseillé par
27 novembre 2010

« Dernière descente à Murder Mile".

A Londres, débarquant de Californie, dans un coin minable, pas reluisant du tout, loin s’en faut, celui rebaptisé par les connaisseurs, « Murder Mile » , Tony s’accroche à la drogue comme un noyé à une bouée de sauvetage. Il est marié à une fille de son genre. Leur vie n’a qu’un but : la dose journalière ; l’amour en est désormais exclu. La drogue ne leur délivre pas l’extase, comme l’on serait tenté de croire, juste des cauchemars. Petits jobs pour toucher de quoi acheter quotidiennement le produit le moins impur (curieuse manière de qualifier les produits, non ?) aux dealers. On a droit à des descriptions très froides, objectivées : endroits sordides où se piquer, veines disparues, durcissement de l’épiderme, escarres, triche, personnages lamentables, épaves qui se retrouvent aux endroits où se distribue leur délivrance, leur soulagement, médecins froids, argent, réunions de toxico encadrées, semblables à celles des alcooliques anonymes…

C’est moins clinique, cru et désespéré qu’un roman de Burroughs, heureusement, sinon – je ne suis pas masochiste !- je ne serais pas allé au bout de la lecture. Entre Burroughs et l’écriture d’ O’Neill, il y a la littérature. Et O’Neill n’atteint pas tout-à-fait la cheville du premier de ce point de vue, ses écrits sont plutôt de la langue articulée. Il apporte, par contre, l’espoir de sortir du monde parallèle de la drogue.
Tony procède, dans ce roman noir, très sombre tout de même !, à une analyse lucide et distanciée de son propre cas, liée partiellement à son propre vécu, selon ses dires d’auteur-acteur (on s’en serait un peu douté). Il parle de manière éclairante de son double. Celui-ci s’incarne dans son cerveau, sorte de Tony bis infernal qui, lorsqu’il réussit, lui, Tony O’Neill, un temps très passager, à s’affranchir de ses doses, lui réclame à nouveau ses piqûres, tel le démon qui s’accroche, lui rappelle l’existence de la drogue, le tente.
Sa femme et lui touchent les aides publiques minimales. Au moins lui, est inscrit à un programme public de désintoxication, où il triche. En témoigne le passage où il décrit la façon de livrer une urine conforme à ce qu’attendent les médecins du programme. Tout est fraude encore là, pour illusionner les hommes de l’art, dont la devise est « désintoxiquer » ! Son soulagement dépend étroitement du médecin qui le suit, cat il lui délivre les 40 à 60 millilitres de méthadone qui adoucissent son sort. Arrêts, chutes, rechutes. Tout est inscrit dans un cycle infernal sans issue. Le rock salvateur marche un moment, Tony est claviériste émérite au sein d’un groupe assez lamentable. Les recettes promises qui devaient permettre de le payer ne sont pas au rendez-vous. Dans la laideur environnante, Suzan, sa première femme est de plus en plus pitoyable, prostrée toute la sainte journée, gémissante, recroquevillée, et répandue dans sa crasse, ne sentant plus sa propre puanteur, attendant fébrilement que Tony rapporte leurs doses.
Tony sera sauvé de cet enfermement par une autre femme qui a foi en lui, en sa capacité de s’en sortir. Elle le soutient véritablement, malgré son apparence, son passé, sans doute parce qu’elle sait, elle, ce que c’est que vivre ainsi. En tout cas, leur union se révèle heureuse et leur procure la paix et la joie réelles de l’existence délivrée du mal et de la souffrance de devoir affronter le monde du quotidien.
En creux, la sensation opportuniste qu’éprouve le lecteur lambda que je suis, ignorant de l’effet sur soi, des spirales infernales de la drogue, bien heureux de ne pas se trouver dans le cas qu’ose décrire l’auteur sauvé.
Au final, le livre n’est pas à classer purement et simplement dans la littérature underground, satisfaite de tourner en boucle sur sa propre description masochiste. Tony est rock, il livre pour les amateurs éclairés aussi, en fin de bouquin, un digest regroupant airs et musiciens qui l’ont accompagné dans son périple d’écrivain de la drogue, « qui ne se renie pas comme d’autres ex-junkies », dit-il ailleurs.
Le message d’un certain optimisme, pas gagné pour tout le monde, est au bout du récit, quand on ne s’y serait pas attendu.

Habertus