Grégoire C.

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A la tête de la belle librairie Obliques depuis 2011.

Niels

Viviane Hamy

20,00
Conseillé par (Libraire)
2 septembre 2017

Juste après l'armistice vient l'heure des règlements de compte. Qui a fait quoi pendant l'occupation ? Qui s'est compromis ? Jusqu'où ? Dans le milieu culturel parisien, les artistes ont fait des choix très variés et pas toujours très clairs. C'est ce que va découvrir Niels, qui a quitté précipitamment le Danemark pour venir en aide à son vieil ami dramaturge, qui risque la peine de mort pour collaboration.

Avec cette intrigue pleine de rebondissements et d'émotions fortes, Alexis Ragougneau délaisse son genre de prédilection, le polar, mais conserve sa formidable capacité à raconter des histoires où les passions humaines sont à l'origine du meilleur comme du pire, d'actes de bravoure autant que de violences perverses. Enfin, ce roman, c'est aussi un décor formidablement brossé, celui du Paris de l'immédiat après-guerre, où tout le monde semble heureux et soulagé de retrouver son pays enfin en paix, mais où les blessures saignent encore sous les belles toilettes et les sourires.

11,50
Conseillé par (Libraire)
31 août 2017

Monument

Suite de notre sélection de rentrée littéraire avec une oeuvre profonde qui fera date, mélange subtil entre la métaphysique païenne de Georges Bataille et l'affranchissement naturel des conventions qu'on retrouve chez Walter Benjamin.
Quinzième tome d'une oeuvre en perpétuelle construction, océanique et végétale, ce "Titeuf, à fond le slip" frappe dès sa couverture, d'un rose fluo conquérant et son titre, référence assumée au "Par delà le bien et le mal" de Nietzsche.

D'un point de vue sémantique, on y retrouve, comme auparavant, ce goût de l'auteur pour la multi-ordinalité comme dans cette planche sur l'IVG qui est aussi un pamphlet végétariste (page 7) ou encore cette fulgurante charge contre la théorie du langage universel de Chomsky (page 27).
On s'amusera aussi, au milieu de cette écrasante débauche d'idées et de pensées complexes, de clins d’œil littéraire plus triviaux comme cette cocasse référence à Shakespeare et à sa lettre perdue de Mantoue (page 25).
En résumé, cet album poursuit et surpasse l'oeuvre déjà pléthorique de Zep et s'impose comme un monument de la littérature philosophique du XXIe siècle. Dommage que peu de libraires aient le courage de mettre ce genre de titres en rayons. "Trop compliqué", diront-ils. Mais si tout le monde réfléchit de cette manière, et ne vend que ce qui est vendable, alors où ira notre civilisation et notre belle culture ? Je vous le demande !

Conseillé par (Libraire)
29 août 2017

Connaissez-vous Jean Painlevé ?

Pour tout vous dire, nous non plus, avant d'avoir lu ce très beau premier roman qui vous raconte de manière pour le moins insolite la vie et l'oeuvre de celui qu'on peut considérer comme le précurseur du cinéma scientifique, le premier en fait qui eut l'idée de plonger une caméra sous l'eau pour filmer ce qui s'y passait. Admiré par les surréalistes mais méprisé par ses confrères biologistes dans les années 20 où le cinéma était considéré comme un divertissement trivial, ses travaux ouvrirent néanmoins la voie à un genre à part entière.

Mais s'il n'y avait que ça, ce livre serait une simple biographie. Or, il est bien plus. D'abord, parce que celle qui vous raconte cette histoire, c'est l'un des premiers sujets d'étude de Painlevé, une pieuvre bretonne très inspirée. Ensuite parce que la plume de Marie Berne, plongée dans cette encre animale, en épouse la poésie gracile et la passion impossible. Le récit en devient habité, trépidant, charmeur, en un mot : amoureux. Une belle découverte.

Anne-Marie Métailié

20,00
Conseillé par (Libraire)
25 août 2017

Glacé

Ce livre est si fragile qu'on ne sait même pas comment il fait pour tenir debout. Et pourtant ça fonctionne. Tout est beau, tout est crédible, même le fait que la Terre soit plongée subitement dans une nouvelle ère polaire. Pourquoi pas ? Vous êtes climatologue, vous ?

Est-ce que c'est l'écriture de Jenni Fagan qui nous fait accepter ça, sa manière si particulière de révéler le fond des êtres, le cœur palpitant de ses personnages ? Ou bien les personnages eux-mêmes, ces trois destins, sublimes et déglingués, liés par une envie furieuse de tendresse ? On ne sait pas. Mais le fait est que le roman est en vie, par un étrange processus magique, il respire et on s'y attache, on ne veut plus s'en séparer, simplement rester là à écouter encore quelques heures les dialogues futiles et profonds qui s'en échappent, admirer les images féeriques et terribles qui l'émaillent, aurores boréales, icebergs géants, armées de givre. Il y a bien une intrigue, des secrets de famille, des accidents de la vie, mais est-ce vraiment le plus important quand tout autour de vous est en train de geler ? Simple, mystérieux et poignant, ce livre est un ami qu'on veut protéger.

Conseillé par (Libraire)
24 août 2017

Des fuyards debout

C'est un virage dans l'oeuvre de Thomas Vinau, comme un horizon qui s'ouvre après trois romans centrés sur notre époque contemporaine, mettant en scène des personnages qu'on devinait proches de l'auteur, marginaux oui, mais marginaux clandestins, poétiquement décalés, monsieur et madame tout le monde qui dissimulaient au fond d'eux une sensibilité explosive, un regard sur le monde singulier, comme un secret.

Dans le Camp des autres, changement de décor, changement d'époque, les marginaux sont bels et bien planqués dans la forêt, habitant des cabanes que des enfants rêveraient de construire, vivant de rapines et de braconnage, dans un XXe siècle naissant qui n'avait pas encore oublié sa nature et ses sous-bois.

La plume de Thomas Vinau est là, familière, faite de simplicité et d'éclats, qui cette fois se met au service d'un récit initiatique aux accents libertaires, pour donner une voix aux moins-que-rien de l'Histoire, aux rejetés de partout, aux "fuyards debout", aux exilés du normal, à ceux au fond qui n'ont que la qualité d'être humains.

Il y a de l'amour, de l'espoir, de la rage dans cette histoire et peut-être pour la première fois chez Vinau, une lame de fond militante qui point pour lui faire dire, dans l'un des plus beaux passages du livre, que "si nous marchons ensemble, nous sommes assez de rats pour conquérir cette terre de damnés."
Voilà.