Isabelle S.

Viviane Hamy

22,00
Conseillé par (Libraire)
23 mars 2009

C’est au fond du vieux puits qu’elle n’avait pas le droit d’approcher quand elle était petite que Magda Szabó se glisse pour retrouver son enfance, claire et vivante, magique par la grâce de parents extraordinaires au sens premier du terme. Rien de commun en effet dans l’orientation qu’ils donnent à l’éducation de leur fille. Car ce qu’ils lui apprennent d’abord, ce ne sont ni les tables de multiplication ni la couture, mais le goût de la liberté et le pouvoir de s’émerveiller d’un rien.


Au fond du vieux puits, il y a la petite ville hongroise de Debrecen au cours des années vingt, poussière l’été, neige l’hiver, orages fabuleux et brouillard, le vrai brouillard, celui où on se perd.
Il y a le père, éternel enfant, absolument dénué de sens pratique, rêvant de projets toujours irréalisables, incapable de s’adapter, comme il le recommandera plus tard à sa fille, à « la majorité raisonnable et disciplinée ».
La mère, certainement une fée transformée en être humain par quelque sortilège, pose sur la réalité un regard tendre et fantaisiste et, devant les ennuis qui pleuvent, trouve toujours une manière d’éloigner l’inquiétude : « Ça n’est pas grave, ne vous en faites pas, je m’en occupe. »
Le vieux portefeuille en cuir jaune ne contient jamais de billets de banque mais des graines de fleurs.
C’est de la baguette du chef d’orchestre que sort la musique, les musiciens sont disposés sur la scène seulement pour faire joli.
Les corneilles rentrent de l’école chaque jour à la même heure en bavardant dans le ciel. Et la mer est tout près, juste sous la baignoire.
La rue Szent Anna revit, avec son marché, les étals de poisson ou de fleurs, de peignes ou de draps. On suit Magda dans les échoppes où elle rend visite à ses amis : le bijoutier, si mystérieux avec sa loupe vissée sur l’œil, l’épicier et ses pochettes-surprises, et surtout le pâtissier, qui lui offre gâteaux et bonbons.

Ces souvenirs d’enfance ressemblent à un conte. On sourit souvent en accompagnant cette petite fille intense et sensible dans son apprentissage de la vie, avec pour seules armes contre les ennuis et la cruauté du monde la fantaisie et l’imagination. Et on comprend qu’en réalité, au fond de ce vieux puits, il y a un écrivain en herbe, qui nous offrira des années plus tard d’inoubliables romans et deviendra l’une des plus grandes voix de la littérature hongroise.

Christian Bourgois

Conseillé par (Libraire)
23 mars 2009

Benito Torrentera, professeur de philosophie sans envergure, la cinquantaine chauve et désenchantée, croise un jour Eduarda, serveuse dans le fast-food où il achète potages instantanés et boîtes de sardines : une jeunesse de vingt ans à la beauté du diable, insolente, imprévisible, et (peut-être) criminelle.
Benito décide de la protéger, abandonnant sa vie tranquille et solitaire, son frigo vide et ses livres. Et les voilà partis en cavale sur les routes poussiéreuses du Mexique en direction du Michoacan, bourgades à l’abandon, stations-service miteuses, hôtels où ils seront souvent les seuls clients.
Guillermo Fadanelli pose sur son pays un regard noir. Une lucidité qui ne lui interdit pas l’humour, piment fort de ce road movie plein de surprises tant pour nos deux anti-héros que pour le lecteur qui les accompagnera dans leurs aventures.

Conseillé par (Libraire)
16 février 2009

« C’est ainsi qu’est faite la vie d’un homme.
Elle est faite le temps d’une seule image.
Cinq enfants en cercle. Ils écoutent. Ils écoutent quelqu’un raconter une histoire. »

Étranger parmi les étrangers, Branko le Hongrois n’est pas le bienvenu dans le campement où il arrive un soir de brouillard au volant d’un camion contenant tout son bien, un cirque entassé dans dix gros cartons. Il devient vite l’ami des enfants qui, d’abord méfiants, puis cédant à la curiosité, l’exhortent à raconter son histoire, l’histoire du Kék Circkusz.
Sur ce terrain vague boueux, au milieu de vieux pneus et de bidons rouillés, à l’abri du linge étendu, Branko déroule le fil de ses souvenirs : son grand-père Nap apó, les chemins et les routes, les foires, son père et ses silences, László le magicien. Il dit aussi, en hésitant parfois par peur que cela ne soit trop lourd pour de si frêles épaules, l’histoire qu’il veut « arracher à l’obscurité dans laquelle elle pourrait tomber », celle que les plus grands ne veulent pas entendre, celle des persécutions contre les Roms et de leur déportation.
Dans ce lieu misérable, sans passé, sans avenir, les mots de Branko font naître des images merveilleuses, donnent vie à des êtres libres et courageux ; ils réveillent aussi des drames, des trahisons, des vengeances.

Branko, en renouant les fils cassés entre le temps du cirque et le temps du conte sur le cirque, redonne sa place à la parole, qui aide à vivre, et à la mémoire, qui permet de comprendre et de poursuivre son chemin d’homme.
Milena Magnani, en plus de nous offrir un conte moderne que nous lisons avec enchantement, rend un hommage plein de poésie et de tendresse aux filles et aux fils du vent.

« Vous pouvez y croire ou pas.
Le fait est que moi, j’ai tenté de vous en confier le secret.
J’ai pris les ombres et j’ai tenté de les glisser dans votre vie. »

Le pari est gagné.

Conseillé par (Libraire)
20 janvier 2009

Jean Rolin est un voyageur, un vagabond à sa manière. Dans son dernier livre, Un chien mort après lui, il nous invite à un parcours sur les traces des chiens errants. Ceux-ci, seuls ou en bandes menaçantes, traînent sur les parkings, les zones portuaires, les places, fuyant les hommes, méfiants avec raison.
Rolin nous emmène dans un tour du monde de la misère, des guerres et des après-guerres, une errance dans des lieux dévastés, décharges à ciel ouvert, bidonvilles, quartiers abandonnés. Car le chien errant est depuis toujours associé au désordre et à la destruction, il inquiète, figure symbolique du désastre, témoin de nos faillites.
Il s’agit ici d’un ensemble de récits de voyage très particuliers, loin des sentiers battus et des itinéraires recommandés. Sur l’île de Kizyl Su, au Caire, à Mexico et Valparaiso en passant par Beyrouth, Athènes, Zanzibar, l’Australie, ou encore…Toropetz, les chiens sont partout, chiens faméliques et crasseux, chassés, capturés, empoisonnés, plus rarement nourris et protégés. Rolin observe, s’interroge, se documente, illustre son sujet par des passages trouvés dans la Bible,Chateaubriand, Flaubert et Grossman...
Il ne parvient pourtant pas à nous abuser : ce sont les hommes qui l’intéressent, et particulièrement les oubliés, les laissés-pour-compte, les vagabonds. Avec une lucidité réconfortante et une bonne pincée d’humour,c’est bien d’eux qu’il nous parle, et de l’état de notre monde.

17,25
Conseillé par (Libraire)
20 janvier 2009

Long monologue intérieur à la deuxième personne du singulier, Mort d’un jardinier est le premier roman d’un poète, un texte que l’on reçoit comme un cadeau.

Ça commence tôt le matin par une promenade dans le jardin, envol de pigeons ramiers, tache rouge vif d’une fraise, rosée sur une toile d’araignée. Brûler un tas de branches, tracer les sillons des semis, préparer les futures plantations de pommes de terre. « Petit enfant tu chancelais entre les mottes de terre, tu t’accrochais aux bleus de travail de ton père de ton grand-père, tu comprenais l’importance des nuages du soleil de la direction du vent, tu apprenais l’utilité du fumier du crottin de cheval de la litière des lapins, tu prenais conscience du rythme des saisons, tu touchais la permanence de la vie. »

Puis le jardinier s’écroule, une douleur à la poitrine, sur un tas de bûches fendues : « un couple de tourterelles turques passent au-dessus de toi dans le jardin mais tu ne les vois plus, elles ne sont pas dans ta tête, tu n’es plus connecté au serveur de la réalité ici et maintenant, tu glisses dans un autre monde… »

Dans le désordre, les souvenirs se bousculent, toute une vie d’homme dans un défilement ininterrompu d’images. On se laisse porter par l’enchaînement des mots, l’émotion nous saisit à l’évocation de livres, de chansons, de musiques qui nous sont comme autant de clins d’œil : la redingote de Captain Beefheart, Kathleen Ferrier et Billie Holliday, Beckett, Kerouac et Jack London ; et aussi les fêtes foraines, pierres jetées dans la rivière, jeux de billes, lessives, grincement de la manivelle du moulin à café, toutes les cigarettes consommées, les bières bues, les voyages, les poèmes, les amis disparus, la femme aimée.

Lucien Suel, en imaginant sa propre mort dans un jardin, a composé avec simplicité et générosité un merveilleux hymne à la vie. Près de lui qui n’est plus, la terre se soulève et la taupe apparaît, les pigeons reviennent chaparder les derniers petits pois, la fleur rouge d’un glaïeul brille.

C’est la magie de la littérature qu’il nous offre. Nous ne pouvons que l’en remercier.