De l'impuissance

On ne le croirait pas, mais les formes de vie contemporaines sont marquées
essentiellement par l’impuissance. Que soit en amour ou dans la lutte contre
le travail précaire, que ce soit dans l'amitié ou la politique, une paralysie
frénétique saisit l’action ou le discours quand il s’agit de faire ou de dire
ce qu'il convient. Mais, paradoxalement, cette impuissance semble due non pas
à une perte des compétences de l'animal humain, mais plutôt à un excès
désordonné de puissance, à l’accumulation oppressante et lancinante de
capacités et d’aptitudes, que le monde contemporain arbore comme autant de
trophées de chasse du nouveau siècle, pour tromper la perte de sa propre
humanité. Ainsi le renoncement, l'omission, l'effacement sont à compter au
rang des (im)puissances nouvelles de l'homme contemporain. Avec ce nouveau
livre, Paolo Virno poursuit son étude systématique du langage contemporain où
s'exprime toute la complexité de notre vivre ensemble et qui témoigne de cette
inversion des sens qui attribue la puissance au fait de renoncer, ou à celui
de taire ce qu'il nous faudrait dire. Livre sur le langage, De l'impuissance,
indique les formes possibles d'une vie autre, qui nous ferait "renoncer à
renoncer", et "omettre l'omission de notre propre dignité". Le livre s'arrête
sur ce seuil. Libre aux lecteurs de faire le deuxième pas. Paolo Virno
enseigne la philosophie du langage à l’Université Rome 3. Il est l’auteur
d’une œuvre rigoureuse où la philosophie du langage s’imbrique dans une pensée
du monde et de l’animal parlant qui l’habite. Outre ses récents écrits sur la
négation (Essai sur la négation, 2016) la régression à l’infini (Et ainsi de
suite, 2014) ou le verbe Avoir (2021), un ensemble de ses textes écrits sur
près de 40 années a été rassemblé sous le titre L’Usage de la vie et autres
sujets d’inquiétude, aux éditions de l’éclat en 2016. On notera l'évolution
sensible de l'oeuvre philosophique de Virno qui, depuis les années 70 où il
militait au sein de Potere operaio en Italie et a publié plusieurs ouvrages,
toujours teintés de philosophie du langage, autour de thèmes plus directement
politiques, en est aujourd'hui à écrire exclusivement sur des sujets de
philosophie du langage, où surgissent une réflexion politique plus large sur
comment être au monde comme animal parlant.