Albertine

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Sous le pseudonyme d'Albertine, hommage à Marcel Proust, se dissimule une Joëlle passionnée de lecture depuis l'enfance. Mon appétit d'ogresse pour les mots, les histoires, les voyages à travers les pages ne s'est pas atténué avec les années. Je marche au coup de cœur, guidée par ma curiosité qui m'incite toujours à découvrir de nouveaux écrivains, à explorer de nouveaux genres. Je navigue entre romans policiers, fresques historiques, livres feel-good et essais sur l'actualité, au gré de mes humeurs et des rencontres avec certains auteurs. Participer à Dialogues Croisés, c'est partager ce bonheur de lire et avoir l'opportunité de mettre dans la lumière des « pépites » littéraires.

Editions du Sous-Sol

24,00
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3 janvier 2016

Mordecai Richler est un fabuleux conteur...

Un grand merci aux Editions du sous-sol pour cette réédition de la saga de Mordecai Richler, parue pour la première fois en 1989. En préambule, je préfère dire que ce roman est fait pour les dévoreurs de pages, les amateurs de gros pavés, les passionnés de digressions et de petites histoires dans la grande histoire. L'auteur nous conte, avec une incroyable verve, les péripéties de la famille Gursky : du picaresque Ephraim qui quitta Londres, en mai 1845, passager "clandestin" à bord de l'Erebus, un des bateaux de l'expédition Franklin dans l'Arctique jusqu'au dernier de la lignée Isaac que nous quittons, en 1983, prêt à se faire un nom dans l'industrie du cinéma.

Ce ne serait pas drôle si les Gursky nous narraient eux-mêmes leur ascension, de l'aïeul, prédicateur, menteur, fornicateur à ses petits-enfants, bootleggers que la prohibition a enrichis.Chacun des membres de la famille apporte sa contribution à l'histoire. Mais c'est Moses Berger, dont le père a servi d'hagiographe à Monsieur Bernard, l'un des trois petits-fils d'Ephraim, qui essaie de retracer le parcours sur le continent américain de quatre générations de Gursky. Enfant, invité chez M.Bernard, il comprend que Salomon, un des frères de celui-ci, est une pierre d'achoppement dans" l'Empire" des spiritueux Gursky. Fasciné par cet homme, à l'aura particulière, il n'aura de cesse de reconstituer sa vie, tumultueuse et mystérieuse.

Mordecai Richler donne vie à une myriade de personnages qui ont tous leur caractère propre. Il nous balade de l'Angleterre victorienne jusqu'en Arctique et nous amène ensuite sur les routes d'une Amérique en pleine construction. Il égratigne tout un chacun, avec une malice teintée d'une certaine cruauté. Les hommes sont d'ailleurs traités avec plus de rudesse que les femmes, leur travers, leurs bêtises dénoncés avec une jubilation évidente.

Cette famille nous permet aussi d'entrevoir les fortunes diverses réservées aux juifs au cours des siècles passés. Très attaché à sa communauté, leurs membres n'en échappent pas pour autant à l'humour féroce de l'auteur. Très bien écrit (bravo pour la traduction), ce récit foisonnant se termine sur une note fantastique, en lien avec le corbeau de la couverture. A vous de jouer, à vous d'ouvrir ce roman pour connaître le fin mot de l'histoire.


21,00
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23 décembre 2015

Trame littéraire...

Ceux et celles qui me connaissent depuis longtemps connaissent mon affection particulière pour la collection Quai Voltaire. Dans une librairie, à la médiathèque, sur les stands d'un vide-grenier, mon regard va toujours être attiré par les couvertures bleues, emblématiques de la collection. Phalène fantôme me conforte dans l'idée que je dois être le "coeur de cible" des éditions de La Table Ronde...

Le début du roman est extrêmement maîtrisé, écrit avec une précision et un réalisme qui laissent poindre pourtant un soupçon de fantastique. Katherine, mère de famille nombreuse, profite d'un bel après-midi d'août 1969 pour prendre un bain de mer. George, son époux, qui travaille au service des eaux, a pu se libérer et ils ont quitté Belfast pour une journée à la plage, loin des tensions religieuses et des vexations qu'ils subissent, en tant que famille catholique dans un quartier protestant. Son plaisir de nager est rapidement gâché par l'arrivée inattendue d'un phoque, créature qui pour elle n'a rien de débonnaire. Elle le trouve menaçant, surgi des profondeurs insondables et les yeux maintenant rivés sur elle, comme à la recherche d'une réponse. Elle panique, perd ses moyens, et ne doit qu'au sang-froid de son mari de ne pas se noyer. L'échappée en dehors du quotidien tourne au cauchemar et la famille décide de rentrer sans plus attendre à la maison.

Ce phoque, que seule Katherine a vu, met en branle la terrible mécanique de la mémoire. Elle voudrait obstinément s'ancrer en 1969, profiter de ses trois filles et de son garçon. Voir Maureen devenir adolescente et la rassurer, calmer les éternelles disputes entre Elizabeth et Elsa, câliner Stephen qui n'est encore qu'un bébé. Mais les souvenirs de l'année 1949 refont surface, vingt ans après. Ils manquent de la submerger quand elle baisse la garde, mettant en péril son équilibre mental et son couple.

Katherine n'a pas toujours été une femme au foyer, à la tête d'une véritable tribu. En 1949, elle occupait un emploi de commis au écriture et vivait chez sa mère. Sa passion pour le chant lyrique l'avait amenée à interpréter Carmen avec une troupe d'amateurs. Habitée par le rôle, enivrée par le chant, elle s'éloignait sans même le vouloir de George, son très (trop) sage fiancé. Lors d'un essayage pour son costume de scène, elle fait la connaissance de Tom, un jeune tailleur et tombe éperdument amoureuse de lui. Leurs amours clandestines ont la saveur de l'interdit... Mais son fiancé veille et ne peut se résoudre à la perdre.

1969, 1949, Michèle Forbes tisse une trame subtile où passé et présent, présent et passé bousculent Katherine et George, et les obligent à se rendre des comptes. Elsa ,dont la ressemblance avec sa mère est troublante, est la plus sensible, la plus à même de sentir la menace qui s'avance vers la famille.C'est elle qui perpétuera l'histoire fantastique des phalènes fantômes.

Michele Forbes a de nombreuses cordes à son arc : actrice, critique littéraire et écrivain. Phalène fantôme, son premier roman, offre un style déjà abouti, subtil dosage entre la réalité et le rêve, le présent et le passé, le trivial et le poétique.

Un très beau moment de lecture !

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10 décembre 2015

Un titre accrocheur !

Pas besoin de se creuser les neurones pour trouver un titre original à mon billet ! Mark Mills (ou quelqu'un de l'équipe éditoriale) s'en est chargé. Dans ce roman, Doggo, un petit chien particulièrement teigneux ne se fait pas attendre comme le Godot de Samuel Beckett. Au contraire, il s'impose dans la vie de Daniel, trentenaire londonien, publicitaire au chômage depuis six mois. C'est en quelque sorte le cadeau d'adieu de Clara, sa compagne depuis quatre ans. Elle lui a laissé, avant de prendre la poudre d'escampette, une lettre où elle explique les raisons de son départ et Doggo, adopté quelques semaines auparavant. L'animal, d'une laideur indescriptible, n'est pas le soutien idéal pour une âme en peine. Il décourage toute tentative de rapprochement et Daniel, échaudé par quelques morsures, doit lui céder le canapé que la boule de poils a annexé.

Ce roman est de la "chick lit" de grande qualité, bourrée d'humour et d'amour. Le héros, une fois n'est pas coutume est une homme, et son "accessoire" fétiche n'est pas un sac Prada mais un corniaud dont il finira par obtenir les faveurs. Daniel va devoir accomplir de nombreuses choses à la fois ( faisant mentir l'adage populaire qui prétend que les hommes en sont incapables !) : décrocher un job "dog compatible" car Doggo ne supporte pas la solitude, se lancer dans la carte moderne du Tendre et dénicher l'élue de son coeur, retrouver l'ancien maître de son chien pour comprendre l'addiction de celui-ci à Jennifer Aniston et persuader sa mère de lui révéler l'identité de son père biologique.

Daniel décroche un boulot dans une petite agence "Idology" et c'est l'occasion pour Mark Mills de nous dépeindre l'univers impitoyable de la publicité. Des duos de directeur artistique et de concept-rédac travaillent en parallèle sur le même projet et cela génère un climat de guerre interne où tous les coups bas sont permis. La team que notre homme forme avec Edie, une adorable jeune femme, remporte le contrat Swosh ! Ils sont parvenus à rendre un bain de bouche glamour, sacré challenge ! Bien évidemment, certains prennent ombrage de leur succès...

Ce roman se lit d'une traite et constitue un excellent moment-détente, loin des contingences du quotidien !

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4 décembre 2015

Whouaf, whouaf

Elizabeth Von Arnim signe à la fin de sa vie ce livre de genre, une autobiographie à travers le prisme des chiens qui l'ont accompagnée toute sa vie. Elle nous présente dans l'ordre chronologique ses 14 compagnons. Le premier "Bijou" lui fut offert pour "compenser" le départ de sa grande soeur, fraîchement mariée. Seule une photographie lui rappelle que cette "bestiole" comme elle le nomme à exister. Le dernier, Winkie, un fox-terrier, cher à son coeur lui laissera un souvenir bien plus marquant. Les portraits successifs de ses chiens nous font parcourir l'existence de l'auteure, de la jeune épouse Von Arnim, qui trouve difficilement sa place dans le grand domaine de son mari en Poméranie à la vieille dame qui passe ses dernières années sous le soleil de la Côte d'Azur. Elle prend souvent des libertés avec la vérité, n'hésitant pas à forcer le trait ou à omettre certains détails pour rendre une scène plus drôle ou passer sous silence des épisodes qu'elle juge peu intéressants ou peu flatteurs.

Au début du "compagnonnage" avec ses chiens, elle les choisit de grande taille, des Danois qui provoquent de nombreux dégâts dans la maison et transforment chaque promenade en séance de gymnastique. Les derniers sont des Fox, plus petits, qui ont plaisir à se lover sur les genoux et prennent une place moindre dans une voiture ou un appartement. Certains passages sont comiques et montrent une maîtresse fort inexpérimentée, d'autres s'attachent au lien, très fort qui a existé parfois entre l'auteure et son chien. Le livre n'est pas exempt de facilités, de phrases un peu toutes faites sur les chiens.

C'est une lecture sympathique, surtout pour les amateurs de canidés.

Quai Voltaire

22,00
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26 novembre 2015

Fleur de givre

Le roman de Christopher Nicholson a le charme d'une fleur de givre, beau mais glaçant. Au coeur du Dorset, lors d'un hiver particulièrement rigoureux, Thomas Hardy va se réchauffer une dernière fois aux flammes d'un amour fantasmé. La troupe de théâtre amateur de Beaminster, la localité proche de sa maison, monte une adaptation de "Tess d'Uberville". Gertrude Bugler, une jeune villageoise interprète Tess. Elle incarne pour le vieil écrivain, qui entre dans sa quatre-vingt-quatrième année l'idéal féminin : une somptueuse chevelure brune, un teint pâle, une bouche rouge et charnue et un accent un peu rustique.

L'auteur réussit à rendre palpitant un huis-clos à priori peu "accrocheur". Thomas Hardy et sa seconde épouse, Florence Dugdale, son ancienne secrétaire, âgée de quarante-six ans partagent un quotidien extrêmement ritualisé. Lui, que son corps fatigué abandonne peu à peu, s'est réfugié dans une intense vie intellectuelle. Il continue chaque jour à se mettre à sa table de travail et à attendre que les mots lui viennent pour les coucher sur le papier .Lors de ses promenades dans les alentours immédiats de la maison, il observe attentivement les moindres détails du paysage, les moindres changements dûs au passage des saisons, les chants des oiseaux, les traces légères des pattes d'un lapin dans l'herbe gelée. L'auteur offre au lecteur des descriptions "magiques" de la campagne anglaise. Les pensées de Thomas Hardy sont assez sombres, la guerre de 14/18 a conforté, si tant est que c'était nécessaire, sa vision très pessimiste de l'homme. Le seul qui parvienne à le distraire et à le sortir de son introspection quasi-permanente est Wessex, un petit fox-terrier à poils durs. Il cède à tous les caprices du chien, qui est devenu en quelque sorte l'enfant que le couple n'a pas eu.

Christopher Nicholson nous permet de rentrer dans l'intimité de l'écrivain mais aussi dans celle de son épouse. Les chapitres consacrées à celle-ci nous font entendre sa plainte. La maison et ses pins l'oppressent. Elle voudrait que les arbres soient taillés, cette demande récurrente rencontre une forte opposition chez son mari qui a développé, presque à son insu, une pensée animiste. Il ne veut pas faire blesser les pins et ne croit pas que la santé fragile de Florence soit liée, comme elle l'affirme, aux spores libérées par les arbres.Les nerfs à fleur de peau, elle se sent prisonnière du rôle qu'elle a , elle-même, choisi : secrétaire et garde-malade. Elle voudrait que Thomas s'intéresse à elle, lui manifeste plus d'affection. Elle voudrait que le personnel se montre plus respectueux à son égard. Elle voudrait que son mari meure et profiter de sa fortune pour quiter l'Angleterre et trouver refuge dans le Sud de la France. Son seul réconfort, elle le trouve auprès de Wessex et de ses poules. L'auteur dresse un portrait terrible, cruel de cette femme qui s'est rêvée en muse pour le célèbre Thomas Hardy et voit le rôle de sa vie lui être dérobé par Gertie Bugler. Difficile d'éprouver de l'empathie pour ce "personnage" tant il se montre horripilant dans son malheur.

Une autre voix apparaît, celle justement de Gertrude, mariée depuis peu et mère d'un nourrisson, Diana. Elle aime le théâtre et connaît un certain succès d'estime dans les pièces montées par la troupe du village. Le fait d'être remarquée par l'écrivain et d'incarner "Tess" lui donnent le fol espoir de monter sur une scène plus prestigieuse, à Londres par exemple. D'ailleurs, une proposition lui est faite en ce sens et elle compte bien saisir sa chance. C'est compter sans la jalousie maladive de Florence Hardy qui va découvrir, sur le bureau de son mari, des poèmes d'amour adressés à la jeune femme.

Le roman de Christopher est un "joyau". Sa parfaite connaissance de la vie de Thomas Hardy lui permet de recréer de façon magistrale le dernier béguin hivernal de ce dernier. Le style est ciselé, d'une précision presque clinique quand il décrit les malaises de Florence, d'une grande poésie quand il évoque la nature anglaise.