Myriam T.

Presses universitaires de France

12,00
Conseillé par
16 juin 2017

Patient-médecin : un choc, un vrai.

Bien sûr, nous savons la défiance aujourd’hui des patients vis-à-vis des médecins. Bien entendu, nous sommes au courant du désarroi des médecins face à l’institution hospitalière, le burn-out, les suicides, les violences. Et évidemment, on nous a informés du poids toujours plus oppressant des restrictions budgétaires et des exigences juridiques contractuelles qui pèsent sur les hôpitaux. Mais le lien, le lien entre ces trois maux, qui nous en parle ? Ce livre, en fait. Et avec une acuité, un regard inédit, loin des on croit et des on dit. Le regard d’un chef de service hospitalier qui persiste à visiter chaque jour ses patients. Le regard d’un essayiste aux prises avec l’éthique en médecine. Et le voilà qu’il nous explique, pas à pas, comment l’art du médecin, sa technê comme il la nomme jooliment, implique le doute, l’ajustement constant, l’impossible quantification de l’expertise en jeu, à une époque où seul ce qui est chiffrable (guide-lines, actes codifiés, gestion des lits...) est porté à son crédit. Comment ces règles générales et génériques de conduite d’une consultation, d’un acte médical, d’une gestion du service, tombent d’en haut et sans compréhension d’un art qui exige au contraire la constante adaptation à l’irréductible individualité de chaque patient, de chaque cas, de chaque résurgence même d’une même pathologie chez un même patient. Comment les règles savamment édictées de bonne gestion, bonne pratique, bien-traitance et autres bien-pensances aseptisées, non seulement passent totalement à côté de ce qui se passe dans une consultation, mais enferment le médecin dans une attention portée aux seuls chiffrables : loin du déchiffrement du malade, de ses symptômes, de ses possibilités, de ses blocages, de ses demandes véritables. Comment le chiffre gomme le patient, sa parole, sa position de sujet. Comment il aliène le médecin, son aspiration à faire bien. Comment le culte du management, des guide-lines, empêchent le soignant de faire expérience, de se confronter au doute pour à chaque fois trouver une solution qui n’existera qu’une fois, pour ce patient-là. Bouleversant aussi, le chapitre consacré à l’insoutenable confiance du malade, et cette analyse inédite sur ce qui se joue vraiment, entre un patient qui attend du médecin de pouvoir se confier corps et âme à quelqu’un dont il sait pourtant les limites mais le juge digne de sa confiance précisément du fait de ces limites humaines, et un médecin désormais lié par une vision de l’échange de service de soin balisé par un contrat juridique, rabaissé par le principe d’interchangeabilité du soignant, du patient, de l’hôpital. Tous pareils, tous identiques : tous indifférents. A l’heure où chacun y va de son couplet sur l’individualité, on découvre à travers ce livre que la médecine centrée sur la personne est aussi à l’écoute du patient que Peugeot l’est à celle de son client : mais oui mon bon Monsieur, parce que vous êtes unique, vous avez le choix de combiner entre 4 couleurs de pare-chocs, 5 de tissus pour l’intérieur et 7 nuances de carrosserie : si avec ça, vous ne vous sentez pas reconnu dans votre unicité... La Consultation, un livre qui touche au coeur et au corps, un livre qui vous dit pourquoi dans ce monde où la médecine est devenue un prix, elle en vient à perdre sa valeur. Pour moi, réalisatrice de documentaires pour arte, un choc, un vrai.