Mirontaine sta leggendo

http://lemondedemirontaine.hautetfort.com/

Professeure des écoles par correspondance et lectrice passionnée autant en littérature de jeunesse qu’en littérature générale.

21,00
13 octobre 2010

Dans un premier temps, la fugue...celle de Madeleine. La fillette s'est échappée de l'école le jour de la rentrée. Clothilde, sa maman, terrassée par l'angoisse, hurle son nom au bord de la rivière.

"Qui fuyais-tu où allais-tu? Quelle drôle de façon de faire l'école buissonnière ma fille...Tu me diras, promets-moi..."

L'enfant est retrouvée, saine et sauve. Mais Clothilde a perdu la voix. La narration prend un tour poétique et musical...

"Clothilde, désoeuvrée, en exil, démunie au seuil de la vaste cour, jaugea les différents groupes de deux, trois, quatre, huit mères qui avaient investi la place. Elle traversa la cour...[...] Clothilde passa comme une ronde tenue, traversa les espaces de silence, les grappes de mères-croches et de triolets. Les mots qu'elle entendait étaient purgés de sens, ils n'étaient plus que vibrations sonores. Elle perçut un soupir, approcha une vague de sons qui confluaient vers un même point en crescendo, essuya une salve d'accords épars, éclatés, dissociés ici. En canon là-bas? Clothilde passa les grilles."

Alors s'ouvre un second temps, celui de l'apprentissage de L'Art de la fugue de Bach. Las des consultations pour retrouver la voix, Clothilde renoue avec son plaisir de la musique. Elle joue du piano devant l'incompréhension de tous: ses enfants, son mari Vincent, son père Monsieur Athilaire, son amie Alix. Petit à petit, elle prend des cours de chant. Passionnée de musique depuis l'enfance, elle trouve dans ce talent une issue possible à ce quotidien de mère parfois si pesant. "Ce voyage-là, et les soins aux enfants avaient consommé son temps. Elle ne regrettait pas. Mais maintenant?"

Ce roman est une pépite! Un grand coup de coeur! L'identification au personnage est assez facile, j'aimerais citer de nombreux passages tellement la plume d'Anne Delaflotte Mehdevi m'a séduite et interrogée.

J'ai aimé la nature qui fait silence lors de l'apprentissage du chant, l'oiseau qui se tait, le chat qui miaule "staccato", sa retraite à l'abbaye, son interrogation sur l'étymologie du mot "persona" quand on ne pense être qu'une mère.

Emma Bovary des temps modernes? Non... Clothilde est beaucoup trop passionnée et moins vélléitaire que le personnage de Flaubert. Anne Delaflotte Mehdevi offre un portrait ciselé pour chaque personnage, comme Baptiste l'idiot du village transcendé par le chant, Corinne la femme simple sublimée par son attachement aux choses du quotidien. Beau, le grand chien blanc, qui accompagne Clothilde se voit personnifié tout au long du roman.

" Beau aboyait trois fois, piano. Si un visiteur s'annonçait franchement au seuil de la maison, un seul aboiement mezzo forte suffisait."

Fugue est "un portrait de femme d'une tonalité bouleversante". En prenant des cours de chant, Clothilde prend sa vie en main.

" Le temps passe invariablement. Sans doute. Pour Clothilde, à partir de ce moment-là, le temps s'emballa."

A lire absolument!

1 septembre 2010

Babakar Traouré est médecin.C'est un homme taciturne qui vit en Guadeloupe. Une nuit,il est réveillé par Movar. Une femme vient d'accoucher et meurt dans les suites de couche. Très vite, Babakar décide d'adopter la petite Anaïs.

Ce livre est déroutant par son ampleur. La polyphonie narrative donne à chacun la possibilité de conter son enfance, de nous livrer son parcours de vie. Maryse Condé, auteur guadeloupéenne, a choisi pour cadre l'Afrique, la Guadeloupe et Haïti.

Babakar Traouré décide de partir à la découverte des origines de la petite fille en Haïti. Un sublime périple s'ouvre teinté d'atrocités dans cette île torturée. Babakar est en quête de vérité. Certains chapitres retracent l'histoire de son enfance, les réminiscences d'une mère mystérieuse aux yeux bleus affleurent . Ce personnage de Thécla, la sorcière, est envoûtant. C'est un véritable guide post-mortem pour Babakar: croyance ou sorcellerie?

Le récit mêle souvenirs, croyances, l'âpreté de la vie. Beaucoup de retours en arrière ont perturbé ma lecture. J'ai appris beaucoup sur Haïti, ce pays ravagé par les dictatures et les guerres civiles.

Maryse Condé offre un récit complexe à plusieurs voix. Beaucoup d'humanité émane de cette histoire qui prend place dans une atmosphère si sombre entre l'Afrique et les Antilles.

La narration est complexe mais offre cet espoir d'une belle humanité en ce milieu hostile.

23 juin 2010

Mauricette est âgée, elle perd un peu la tête. L'histoire se passe de nos jours mais la narration nous entraîne dans les vagues souvenirs de l'enfance de Mauricette en 1938 dans la région d’Armentières et Comines en Flandres, près de Lille.

En août 2008, Mauricette Beaussart, 75 ans, est admise pour cause de troubles mentaux à la «Clinique» faisant partie d’un EPSM (Etablissement publique de santé mentale). Elle va s'enfuir pour voir la mer avec son amie .
Son ami Christophe Moreel, inquiet, part à la quête de Mauricette. Les chapitres se succèdent tantôt la parole est donnée à Christophe, tantôt les pages du journal de Mauricette nous sont donnés à lire. Mauricette souffre de crises de mélancolie profonde, cette femme passionnée de poésie exerçait le métier de professeur de lettres. Ses propos sont décousus, mais ces petites parenthèses de "tempête sous un crâne" sont belles. On apprend beaucoup dans ce tourbillon de pensées, même si les confidences de Mauricette nécessitent parfois la relecture! Son cabas vert renferme quelques trésors, comme l'illustration de ses pensées dispersées.
Elle joue avec les mots: «Je broute mes médicaments», «Je suis ta soignée», avec des chapitres de narration pure qui relate l’histoire de Mauricette jalonnée de quelques grands malheurs familiaux (touchant sa mère, son père, son petit frère Emile).C'est lors d'un séjour à l'EPSM que Lucien Suel (originaire des Flandres artésiennes où il est né en 1948) a écrit son roman.
La Patience de Mauricette offre un très beau parcours de vie, d'une femme aimant la poésie et qui se joue des mots.
Roman lu dans le cadre de Dialogues croisés

26 mai 2010

Mamoune a loupé une marche de sa vie. Elle vieillit Mamoune... alors ses filles ont décidé de la placer en maison de retraite. Jade, sa petite fille, préfère l'héberger dans son appartement parisien. Entre elles se tisse une rencontre entre deux âges, Jade va apprendre à connaître Jeanne.
Mamoune vient d'un pays voué à l'élégance du fatalisme, son "avenir est tout entier plongé dans son passé". Jade va apprendre, petit à petit, le passé de cette grand-mère passionnée de lecture. Ce plaisir qu'elle s'offrait en catimini, les livres cachés dans la Bible. Elle consignera toutes ses lectures dans un cahier de notes "Il est ma vie, racontée par les plus grands auteurs du monde".
Mamoune s'interroge sur ses choix de vie, elle observe les traces du temps sur ses mains pendant que Jade semble dans l'urgence de faire les bons choix.
"Bonnes ou mauvaises, les conséquences de nos actes sont toujours des mystères".
Jade et Jeanne vont partager ce quotidien, des nouvelles habitudes parisiennes mêlées aux réminiscences d'une vie campagnarde, d' un parfum de rose et de violette.
Mamoune livrera son amour des livres...
Les enfants sont des trésors, des pages blanches avec toutes les histoires possibles. Jade écrit un roman comme un chantier de bonheur et sa grand-mère va l'aider dans sa réécriture. Jeanne abordera les conditions de la vie de la femme qui me semblent, à titre personnel, plus pertinentes que les propos d'Elizabeth Badinter. On apprend beaucoup avec Mamoune pour qui: "L'école de Jules Ferry m'avait appris à lire, celle de la lecture à vivre".
Comme dans le tableau de Gustav Klimt "Les trois âges de la vie", la vieillesse et la jeunesse s'emmêlent, se rejoignent...
Qu'il est doux ce temps partagé auprès de ces deux femmes. Les figures féminines sont belles, intenses . Jade et Jeanne nous livrent leurs amours, les lectures comme des galets sur les chemins de la vie. L'une apprend à l'autre à faire des choix, à avancer en ne s'arrêtant pas sur les dangers de la vie, ceux qui pourraient l'écourter ...
"Vivre dans la peur, c'est vivre à moitié, prendre la rue du plus tard, c'est arriver à la place du jamais."
Cette phrase trouve son écho dans un épilogue très surprenant. Etait-ce si utopique de croire en cette réunion des deux âges de nos jours? Qu'importe, j'ai appris beaucoup en compagnie de Jade et Jeanne. Leurs confidences dans cet appartement parisien, sur fond des Variations Goldberg de Bach ont illuminé mes moments de lecture. Frédérique Deghelt offre un très bon roman et une jolie mise en abyme de l'écriture.

Un grand coup de coeur pour moi!

7,65
21 mai 2010

Romicide est une immersion, assez sombre, dans le milieu des Roms. Bertrand Rozenn est chargé d'enquêter sur un meurtre particulièrement sordide. Un rom hongrois est retrouvé torturé à la périphérie de Rennes. Rozenn s'obstine à résoudre cette enquête et prend comme indic Augusto Rinetti, le gardien du terrain où vivent les gens du voyage.

Gianni Pirozzi propose le portrait attachant d'un homme à la dérive. Rinetti, l'homme divorcé, est prêt à tout pour conserver son droit de visite pour son fils Pietro.
Nous sommes plongés dans le monde parallèle du voyage, le décor austère est posé. Gianni Pirozzi cultive l'économie des mots. En une seule phrase, le drame prend place. Qui était le vieux Kertesc? Ce vieil homme aux pieds brûlés, ce Rom qui n'en finit jamais de mourir tant la mémoire réclame du temps et sa justice également. La Bretagne, en arrière-plan, est une terre propice pour accueillir cette histoire d'amour et de mort. Tous les personnages qui peuplent Romicide, portent un lourd secret.

Pirozzi offre une très belle immersion au coeur du peuple tsigane. La rudesse des campements et la richesse de leurs talents sur fond de coutumes sont relatées du point de vue d'un Gadjo.

Retrouvez les échanges liés à cette chronique sur