Deux maris sinon rien
EAN13
9782352880738
ISBN
978-2-35288-073-8
Éditeur
City Edition
Date de publication
Collection
CITY EDITIONS
Nombre de pages
512
Dimensions
18 cm
Poids
379 g
Langue
français
Langue d'origine
anglais
Code dewey
850
Fiches UNIMARC
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Deux maris sinon rien

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City Edition

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1. Tomorrow is a Long Time

(Demain, c'est si loin)

Dimanche 9 mai 2004

BELLA

— D'accord ? Je t'appelle demain, Amelie. Ça va aller, promis ?

— Oui, répond la jeune femme en soupirant.

Sa voix n'a rien de rassurant.

Je presse le bouton rouge du combiné, raccroche au nez de ma belle amie. Et me retrouve accablée par le chagrin, terrassée par un sentiment d'inutilité totale. La souffrance est une chose si intime. Elle souille tout ce qu'elle touche et dresse de hauts murs invisibles entre soi et les autres. Je devrais le savoir : ma mère est morte d'un cancer quand j'avais neuf ans. Depuis, pas un jour ne s'est écoulé sans que je me sente trahie. J'aurais tellement voulu dire à Amelie des paroles sensées, apaisantes, réconfortants, sincères - mais je n'ai pas pu. Cela fait presque dix mois que j'essaye de trouver ces mots. À croire qu'ils n'existent pas. Avec un soupir de frustration, je serre les poings et me frotte mes yeux. Quand le téléphone a sonné, je venais de terminer ma gymnastique du soir : travail des muscles du plancher pelvien et huit séries d'abdominaux enchaînées en serrant les dents. J'étais en train de nettoyer, tonifier et hydrater mon visage mais, à présent, je n'ai plus la force de continuer. Tout ces soins me semblent si vains, si absurdes, comparés à la douleur d'Amelie.

On prend tellement de risques quand on aime.

Je regarde mon mari, Philip, qui s'est endormi pendant que j'étais au téléphone, un exemplaire de The Economist entre les mains. J'allume ma lampe de chevet, éteins le plafonnier, lui retire le magazine des mains et dépose un baiser sur son front. Je l'aime encore plus quand je viens de discuter avec mon amie veuve. Le chagrin nous rend égoïstes. J'aimerais ne plus penser, chaque fois que j'ai parlé avec Amelie, « Dieu merci, il est encore là », mais je me le dis toujours. Sans doute ne suis-je pas une personne aussi gentille que je me l'imagine.

Je me blottis contre Phil, contre la masse de son corps musclé. Ma respiration ralentit doucement et les martèlements de mon cœur se font moins furieux dans ma poitrine. Pendant ma discussion avec Amelie, il battait si fort... J'avais l'impression qu'il cherchait à s'échapper.

Souvent, j'ai l'impression que mon cœur a envie de s'échapper.

Avec Philip, je me sens en sécurité. Il a neuf ans de plus que moi, et ça doit certainement jouer. C'est un homme gentil, respectueux et réfléchi, même après l'amour. Les types avec qui je sortais avant Philip ne pouvaient pas en dire autant – y compris avant l'amour. Nous nous sommes rencontrés il y a presque deux ans et demi. J'étais serveuse dans un bar – oui, comme dans cette chanson de Human League dont je me souviens à peine mais que Philip adore. Anecdote amusante à sortir pendant un dîner, certes, mais croyez-moi, la vie d'une serveuse de bar est plutôt lugubre. Philip est l'un des traders les mieux cotés de la City et, bien que cette activité reste un mystère pour moi, je sais qu'elle lui vaut de toucher chaque mois un salaire indécent. Il a pris d'assaut ma vie avec l'arsenal habituel de cadeaux, de dîners dans des restaurants chics, de lingerie coquine (enveloppée dans du papier de soie et discrètement glissée dans un sac en carton), allant même parfois jusqu'à dégoter le CD ou le livre qui me rappelaient tant de souvenirs...

À cela s'ajoutait toute une panoplie de nouveaux atouts : Philip est un adulte, il s'enflamme en parlant stock-options, plans de retraite et dividendes comme d'autres se passionnent pour le football, leur PlayStation ou les marques de bière. Il se souvient de choses que j'oublie, comme par exemple déposer au contrôle technique ce tas de ferraille qui me sert de voiture ou renouveler mon assurance habitation. C'est ce côté débrouillard qui m'a complètement fait craquer.

À l'époque où nos chemins se sont croisés, j'étais ce qu'il est convenu d'appeler une véritable épave. La chose qui me définissait le mieux devait être mon découvert, et l'homme avec qui j'entretenais ma relation la plus intense était mon banquier. D'ailleurs, j'y pense, je n'ai jamais rencontré mon banquier en vrai. Par conséquent, l'homme avec qui j'entretenais ma relation la plus intense était la fille du Service clientèle (probablement situé à New Delhi) que j'appelais régulièrement pour lui expliquer mes derniers malheurs.

Ce n'est pas que je claquais tout mon fric en vêtements griffés ou en produits de beauté ruineux. Je ne possédais pas grand-chose : ni voiture tape-à-l'œil, ni appartement. Pas même une collection de chaussures. Difficile à croire quand on sait que toute une génération de femmes élevée à Sex and The City et à Friends sont convaincues que posséder une collection mortelle de chaussures ou de robes, c'est vraiment... eh bien, mortel.

Ce n'est pas non plus que j'étais paresseuse. Depuis l'obtention d'un très banal diplôme universitaire, j'ai travaillé presque tous les jours. Le problème, c'est que je n'ai jamais fait preuve de beaucoup de cohérence dans mon plan de carrière. Je me suis retrouvée au bas de l'échelle de nombreux métiers, mais je n'en ai jamais gravi les échelons très haut. Le problème, c'est que je ne sais pas ce que je veux faire, encore moins ce que je veux être. Voyons les choses de manière positive : au terme de toutes ces années, je sais que je ne veux pas être comptable (trop d'examens à passer), ni banquier (costume-cravate, pas mon truc), ni calligraphe (de toutes façons, le secteur n'embauche pas des masses), ni dentiste (passer ses journées dans la bouche d'inconnus... beurk !), ni bosser dans les relations publiques, et encore moins dans l'industrie de la musique. Le métier idéal continue d'être, à mes yeux, responsable du rayon chocolat chez Harrod's mais l'opportunité ne s'est encore jamais présentée.

À vrai dire, plus les années passent, plus les opportunités se font rares. Quand on sort de fac, s'inscrire à un programme de formation professionnelle et être incapable de le mener à terme reste dans le domaine de l'acceptable. Mais après plusieurs années d'échecs répétés à toute forme de programme de formation professionnelle, les recruteurs potentiels commencent à percevoir – à raison – l'étendue de mon incapacité à m'impliquer dans la vie active.

Je sortais avec Philip depuis dix-neuf mois quand il me posa la question – bon, arrondissons à deux ans, ça me semble plus... approprié. En réalité, il ne m'a pas vraiment posé la question : elle lui a échappé, dans un moment très peu « Philip ». Si j'étais d'un tempérament joueur, j'aurais parié que Phil était le genre d'homme à faire sa demande en mariage au restaurant, ou dans un lieu symbolique, ou devant un coucher de soleil. J'aurais parié qu'il aurait acheté à l'avance une bague, aurait posé un genou à terre et récité de mémoire un petit discours pour me demander si j'acceptais de lui faire l'honneur... etc., etc. Au lieu de quoi il s'est mis à brailler, pour couvrir le bruit des robinets (il portait des gants en caoutchouc à ce moment-là), quelque chose comme : « Eh, miss catastrophe ! On ferait mieux de se marier pour limiter la casse, non ? »

Quelle fille résisterait à ça ?

À cette période, j'occupais l'appartement d'une célèbre et richissime créatrice de mode – une amie d'une amie d'Amelie – pendant qu'elle parcourait le globe, cherchant l'inspiration dans les odeurs des souks marocains, les couleurs des plages de Cape Town – à moins que ce ne soit l'inverse. Elle avait exactement le job qui, pensais-je, m'irait comme un gant, même si je ne voyais qu'approximativement en quoi il consistait – pour moi, ça ressemblait à peine à un job (sans nul doute l'une des raisons pour lesquelles il m'attirait tant). Un vrai travail, selon moi, se résumait à une succession de petits boulots ternes entrecoupés de soirées passés à servir des cocktails à de minables employés de banque en goguette.

Je trouvais l'« espace de vie » de Mme Clerkenwell horriblement intimidant. Tout y était trop branché. « Appartement » était un terme bien trop terre-à-terre pour le qualifier. Les planchers vernis couraient sur plusieurs hectares, et je me disais que quelques tapis chaleureux ne leur auraient pas fait de mal. Les fenêtres montant ju...
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